Un record dans la nuit………la naissance et la renaissance d’un avion d’exception français :

MAUBOUSSIN M.202

Introduction

La France, pays qui a créé l’aviation pratique, a été bien mal servie par les historiens de l’aviation. Surtout la période de l’entre-deux guerres qui est tombée dans l’oubli. Mais, en grande partie, c’est la France qui est à l’origine de l’aviation moderne. Fondé en 2007, le Cercle des Machines Volantes (CMV) est une association déclarée d’intérêt général, dont l’objet est de faire revivre et de valoriser le travail de ces ingénieurs français et leurs réalisations.

Les avions de record et la formation de pilotes de chasse

Les années de l’entre-deux guerres ont vu un immense progrès dans les techniques aéronautiques, alimenté par une intense compétition et une innovation osée. Les compétitions internationales, les raids et les records de vitesse ont donné une expression à ce progrès, suivis de près par les techniciens, les militaires et le grand public, fou amoureux de la vitesse. Les Caudrons et Potez figuraient parmi les lauréats d’une série d’avions français exceptionnels. Dont le dernier de cette série est le fruit d’une coopération entre deux hommes exceptionnels, Pierre Mauboussin et Emile Régnier : le Mauboussin 200.

Un créateur de génie – Pierre Mauboussin

Né avec le siècle, fils du célèbre joaillier de la place Vendôme, Pierre Mauboussin fait des études de commerce et dirige la filiale familiale à New York. Mais dès 1928, il se consacre à sa seule passion, l’aviation. Il donne son nom à une petite équipe et commence à dessiner des avions : deux ans plus tard, sa première création détient déjà des records. Un succès commercial suit avec le Corsaire, aussi détenteur de records ; mais il vend la licence de production à l’entreprise Fouga, plus tard absorbée par Potez, pour mieux se concentrer sur les prototypes, son travail préféré pour bien des années à venir. Ainsi est née la série M.200.

Un motoriste d’exception – Émile Régnier

Mitrailleur dans l’infanterie en 1914, Émile Régnier est déclaré inapte suite à des blessures reçues au cours de combat sur la Marne et à Verdun. En dépit de cela, il s’obstine à devenir pilote de guerre. Refusant les refus, il intègre l’escadrille N89, au cours de 1918 où il engrange six victoires, les deux premières dans l’Oise. Promu au grade d’adjudant-chef, il quitte l’armée pour faire commerce de matériel aéronautique et, en 1927, fonde une entreprise de mécanique de précision. L’achat d’une licence de Havilland en 1932 le lance dans la production de moteurs d’aviation ; deux ans plus tard il commence la fabrication de ses propres moteurs, dont la série R4 de 90 CV. Plusieurs succès en résultent avec Caudron et …… Mauboussin.

Le Mauboussin série 200

La guerre approche. Les pensées se tournent vers la formation des pilotes de chasse. Mauboussin conçoit un petit chasseur léger à bas prix ayant les qualités de vol et la complexité de pilotage d’un chasseur de première ligne. Pour mieux le vendre aux militaires, il cible le record de vitesse sur 100 kms d’avions légers de moins de 4 litres de cylindré, détenu par le Tatra des Tchèques, et celui sur 1000 kms dans la même catégorie, détenu par l’Arado des Allemands. Régnier ajoute un compresseur à son moteur 4EO et les 90 CV deviennent 150 ; chaque détail est étudié pour améliorer la vitesse.

Concepteur et dessinateur de ses avions, Pierre Mauboussin fut recruté comme consultant par l’entreprise Fouga. Jusqu’en 1936, cette entreprise reparait uniquement des voitures de chemin de fer avant qu’elle ne se lance dans l’aviation. La menuiserie à Aire-sur-l’Adour devint une fabrique d’avions. Avec Robert Castello, ingénieur aéronautique et ancien de Dewoitine, ils conçurent en tandem des avions de tourisme, des planeurs et, après guerre, le fameux Fouga Magister.

En 1938, l’entreprise Fouga décida de concevoir un monoplace léger pour l’entrainement des pilotes de chasse. Proche du comportement des avions de chasse, il devait être construit et exploité avec des dépenses minimes. Les études furent menées par Wolf Kissilevsky sous la direction de M. Périlhon dans la soufflerie d’Issy-les-Moulineaux. Il en résulta le Mauboussin M.200, un monoplace aux allures de chasseur construit essentiellement en bois. Il effectua son premier vol le 21 mars 1939 à Bordeaux-Merignac avec à son bord Jean-Jacques Lallemant.

Fort performant, l’appareil s’élança à l’attaque des records. Le 5 mai 1939, il remporta le record mondial de vitesse sur 100 km dans la catégorie des monoplaces de moins de 4 litres de cylindrée. D’autres records furent en préparation, lorsque la Seconde Guerre mondiale interrompit ceux-ci. Basé à Villacoublay, une série de tests sur l’appareil fut également stoppée. La Luftwaffe le saisit et le transféra au Bourget. Son sort devint inconnu.

Suite à une commande du Ministère de l’Air du 21 mars 1938, un second appareil était entretemps en préparation, le Mauboussin M.202. Cette version fut allégée et motorisée par un Régnier de 95 chevaux. Sortit de l’usine le 4 juin 1940, l’avion fut soumis à une longue série d’essais à Aire-sur-l’Adour ainsi qu’à Toulouse avec deux ailes de profils différents. En novembre 1942, le projet fut stoppé par l’Occupation allemande. Le Mauboussin M202 fut cependant précédé du Mauboussin M.201. Cette version fut mise en chantier le 7 mars 1939. Elle possédait un moteur alimenté par un compresseur et des dispositifs de conversion en train escamotable. Son histoire est encore obscure. Sa cellule inachevée aurait été servie à l’unique Mauboussin M.202.

« Un record dans la nuit »

Tel est le titre triomphant du magazine Les Ailes du 18 mai 1939. Piloté par Jean-Jacques Lallemant, le petit prototype décolle le 6 mai dans une météo

douteuse. Moins d’une heure après, le record tchèque est en ruines : le Mauboussin est 20% plus rapide sur 100 kms. Lallemant décide de risquer une deuxième tentative le lendemain : les 1000 kms. L’avion décolle à 16h30 ; des petites averses sont annoncées. Après les premiers sept tours de circuit, la pluie devient torrentielle ; mais le Régnier tourne comme une horloge. Lallemand continue. Dès 20h00, la nuit tombe et l’avion n’est pas équipé pour le vol de nuit. Lallemand continue. Guidé par un seul repère, un phare terrestre de navigation d’Air France, le Maubousin fait son atterrissage à 20h30. En dépit des mauvaises conditions météorologiques, le record de l’Arado est battu de plus de 10%.

La guerre et après

Après la réussite de mai, l’équipe songe au record des 2000 kms, tenu aussi par les Allemands. La machine est peaufinée ; le deuxième appareil de la série M.200, le M.202, une version d’aile est essayé, mais la première version est retenue. Enfin, dès octobre 1942, il doit dormir dans un hangar, d’autres vols étant interdits par l’occupant. Remis en état à la Libération par les FFI, l’appareil est peu utilisé et sera vendu par les Domaines en 1947. Les moteurs Régnier devenus « production » de formation, est déjà commandé et en construction. Celle-ci s’acheve le 4 juin 1940 dans l’usine Fouga à Aire-sur-Adour. Avec l’arrivée de la guerre, le premier M.200 disparaît sans laisser de traces ; le deuxième survit. Il décolle pour la première fois à Airesur- Adour début 1941. Il suit un programme d’essais techniques prolongé, un autre dessin introuvables, son moteur est remplacé par un Continental en 1974.

 

Protégé dans un hangar jusqu’à la Libération, le Mauboussin M202 fut exploité par les Forces Françaises de l’Intérieur. A la fin de la guerre, il reçut non sans mal son Certificat de Navigabilité Civile le 27 septembre 1948. Bien qu’il cumula 220 heures de vol en 1965, il fut fatigué et délaissé. Repris en piteux état, il fut remis en état de vol en 1974 avec un moteur Continental. Jusqu’en 2008, les acquéreurs successifs n’eussent pas cessés de vouloir le modifier. D’autres modifications suivent. Enfin, après plusieurs changements de propriétaires, l’avion a volé pour la dernière fois en 1989. En 2014, le CMV l’a acquit afin de le remettre exactement dans la même configuration qu’en 1938.

La renaissance commence

Le CMV a pris en charge la cellule du M.202 en décembre 2015. Inventaire de son état à ce moment-là : tout ce qui se trouvait devant la cloison pare feu manque ; l’avion a été partiellement démonté et le train modifié, certains éléments manquent. Mais la condition de la cellule en bois est bonne ; avec certaines exceptions, les pièces métalliques de la cellule aussi. Les recherches sur l’avion ont été entamées, beaucoup

aidées par un dossier préparé par un des anciens propriétaires. La décision a été prise de remettre le M.202 dans son état d’origine de 1940 et de le faire voler à nouveau. En 2017, l’association a acquis trois des vingt quatre moteurs Régnier 4EO construits, en mauvais état mais avec la possibilité d’en créer au moins un bon. Le travail sur la cellule a commencé en automne 2017 dans les ateliers du CMV à Margny-lès-Compiègne dans l’Oise et celui sur les moteurs début 2018.

L’avenir

Aucun avion de record de vitesse français des années trente n’est aujourd’hui en état de vol. Trois originaux existent, dont deux dans le Musée de l’Air au Bourget, qui ne voleront plus jamais. Le M.202 du CMV est donc le seul appareil d’origine de ces avions phares que les générations futures risquent de pouvoir admirer tel que ses contemporains l’ont vu : en vol, avec le bruit d’un moteur Régnier d’origine et peint dans le bleu de concours des avions de record français.

Pour toute information, merci de vous adresser au Cercle des Machines Volantes. Nous serons très content de vous accueillir sur rendez-vous. Nous encourageons le support de notre association sous toutes ses formes.

Le Cercle des Machines Volantes
Hangar D, Aérodrome de Compiègne-Margny,
2289 avenue Octave Butin, 60250 Margny-lès-Compiègne